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arts

Nxt Museum: une boîte noire pour l’art numérique dans l’ancienne «Sibérie»

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Pierre Lambert
7 novembre 2020 8 min. temps de lecture

Avec l’ouverture du Nxt Museum, Amsterdam compte non seulement un musée de plus, mais aussi une institution artistique d’un nouveau genre. L’établissement se distingue à la fois par son contenu, son agencement et son mode de gestion.

Si les primeurs excitent la curiosité et constituent un levier efficace en matière de relations publiques, force est de constater qu’elles se basent souvent sur des faits non vérifiés. Ainsi, à la fin du mois d’août, le journal néerlandais AD annonçait que le collectif japonais teamLab allait ouvrir en 2024 sa première collection permanente européenne à Utrecht, dans un espace baptisé Nowhere, qui serait «le premier musée d’art numérique en Europe». C’était sans compter sur le Museum for Digital Art, qui a ouvert ses portes à Zurich en 2016 pour les refermer dernièrement à cause du Covid-19. Qui plus est, le tout récent Nxt Museum à Amsterdam a aussi pris Nowhere de vitesse.

Inauguré le 29 août dernier, le Nxt Museum prétend à son tour être «le premier musée d’art numérique des Pays-Bas», ce qui n’est pas non plus exact. Entre 1994 et 2012, le Nederlands Instituut voor Mediakunst (NIMk – Institut néerlandais des arts médiatiques) a organisé une impressionnante série d’expositions centrées sur l’art vidéo et l’art des nouveaux médias. S’il est vrai que l’espace d’exposition de son successeur LIMA est très réduit, il n’empêche que celui-ci continue à mettre à l’honneur l’art numérique d’avant-garde.

Le Nxt Museum s’emballe également quelque peu sur le plan sémantique. En effet, on ne peut parler de véritable musée, vu l’absence d’une collection propre. Même les huit œuvres qui constituent l’exposition d’ouverture Shifting Proximities
n’ont pas été acquises et ne le seront sans doute jamais. L’appellation d’espace d’expositions temporaires conviendrait donc mieux, à moins qu’il ne faille inventer un nouveau terme pour désigner cette initiative.

Car le Nxt Museum apporte bel et bien du neuf au paysage artistique néerlandais, les Pays-Bas ne disposant pas jusque-là d’un endroit qui permette d’admirer pendant une longue période des installations numériques d’une telle ampleur.

Le concept du Nxt Museum se rapproche le plus de celui d’Unlimited, une vitrine de l’art monumental organisée dans le cadre d’Art Basel, la plus grande foire d’art au monde, mais en plus spécialisé et pour une durée d’au moins cinq mois au lieu de cinq jours. Les œuvres d’art gagnent ainsi en visibilité, car elles touchent un public plus vaste que les simples visiteurs de festivals tels que Gogbot et Impakt. À l’exception de Biometric Mirror de Lucy McRae, que l’on peut également admirer jusqu’au 4 octobre à l’exposition Bodydrift – Anatomies of the Future du Design Museum Den Bosch, les installations présentées à Nxt Museum le sont pour la première fois aux Pays-Bas.

Biometric Mirror numérise les visages des visiteurs et les reconstruit à l’aide de points de mesure, donnant lieu à des portraits monstrueusement déformés. Cette critique implicite de l’incompétence des logiciels de reconnaissance faciale s’inscrit dans une installation rappelant les sculptures molles de Claes Oldenburg, avec ses coiffeuses bombées et ses meubles de boudoir douillets. L’apparence tactile et le caractère interactif de Biometric Mirror forment comme le fil rouge de l’exposition dans son ensemble, que le commissaire Bogomir Doringer qualifie de projet pilote pour la future programmation. Ici, aucun art conceptuel et cérébral accompagné de longs textes explicatifs, mais des œuvres qui interpellent directement le spectateur, invité à s’y immerger corps et esprit.

La première installation, Connected de Roelof Knol, donne d’emblée le ton. Les projections lumineuses se déplacent avec les visiteurs, délimitant espace personnel et collectif – un commentaire aussi léger qu’actuel sur la distance de 1,5 mètre à respecter pour lutter contre le coronavirus. Dans la salle suivante, d’une longueur de 25 mètres, Topologies #1 de United Visual Artists joue avec la perspective en étirant et basculant la projection laser d’un rectangle, ce qui a pour effet de brouiller les sens de la mesure et de la proportion dans cet espace rempli de fumée.

La pièce la plus spectaculaire de Shifting Proximities a pour titre Distortions in Spacetime. Cette animation époustouflante de Marshmallow Laser Feast immerge le spectateur dans l’explosion d’une supernova et la genèse d’un trou noir, au milieu d’une salle des glaces qui n’est pas sans évoquer l’Infinity Mirror Room de Yayoi Kusama.

Au-delà de l’expérience

Si cette énumération d’œuvres peut donner l’impression que le Nxt Museum propose des «expériences» destinées à la génération Instagram, toute comparaison avec les récents musées du selfie Wondr et Youseum s’avère néanmoins injustifiée. Au Nxt Museum, l’immersion va de pair avec des contenus, parfois même très pédagogiques, mais abordés sous des angles inattendus. Ainsi, les artistes chinois Cao Yuxi et Lau Hiu-Kong dévoilent la beauté insoupçonnée des codes QR dans leur installation monumentale Dimensional Sampling #1. La projection rythmique, qui suggère un test de Rorschach animé, jette un pont entre le cerveau humain analogique et l’intelligence artificielle embarquée dans ces blocs de code hermétiques.

On déplorera toutefois l’absence de note critique sur la société de contrôle dans laquelle s’inscrit souvent ce type de technologie. Si la dimension engagée est bel et bien présente dans Econtinuum de Thijs Biersteker, elle prend ici encore la forme d’un émerveillement optimiste qui contraste avec l’alarmisme dystopique inhérent à bon nombre d’œuvres d’art consacrées à l’environnement et au climat.

La sculpture de Biersteker, fabriquée en plastique recyclé, représente le système racinaire des arbres. Des taches lumineuses se déplacent à des vitesses variables entre les différents organismes, symbolisant la communication au sein du monde végétal, une réalité démontrée par la recherche scientifique. À mesure que les visiteurs s’approchent, ils influencent les motifs lumineux et deviennent ainsi partie intégrante de la «conversation». Le message est transmis de façon ludique : puisque le spectateur fait lui aussi partie de l’écosystème, il doit veiller à son intégrité.

Econtinuum est le fruit d’une collaboration entre Biersteker et le botaniste italien Stefano Mancuso. À vrai dire, toutes les installations de Shifting Proximities ont été réalisées par des collectifs, qui ont parfois fait appel au Nxt Museum pour la production. Plus tard dans l’année, la nouvelle institution lancera le Nxt Lab, un atelier qui permettra de développer de nouveaux concepts et de les tester à grande échelle.

Les résidents du Nxt Lab séjournent quelques mois dans le quartier qui passe aujourd’hui pour le plus palpitant d’Amsterdam. Surnommé pendant des décennies la «Sibérie sur la mauvaise rive de l’IJ», Amsterdam-Nord se transforme rapidement en un lieu branché. De prime abord, la rue Asterweg ressemble à une succession d’entrepôts et de garages, mais le Nxt Museum jouxte le dépôt du musée du cinéma Eye et est situé en face de l’ancien atelier du sculpteur André Volten, où un vaste jardin de sculptures est en train d’être aménagé.

Nul doute qu’une belle demeure en bordure de canal, comme celle qui abritait l’ancien NIMk, n’aurait pas convenu à une institution telle que le Nxt Museum. Les œuvres exposées nécessitent une boîte noire théâtrale, et non un cube blanc classique. L’ancien studio de télévision d’Amsterdam-Nord lui va donc comme un gant. L’édifice renferme 1400 mètres carrés d’espace d’exposition, pas moins de six sources de courant fort, un plancher renforcé et des poutres en acier au plafond d’une belle hauteur pour suspendre une quantité incroyable d’équipements.

L’espace initialement non cloisonné s’est vu doter pendant le confinement de parois en partie coulissantes. La salle la plus vaste, la
Nxt Stage
de 320 mètres carrés qui abrite l’installation Dimensional Sampling #1, peut être louée pour des présentations de produits, des défilés de mode et autres événements, ce qui en dit long sur le financement et le modèle de revenus du Nxt Museum. Les salles et les bureaux ont été aménagés en seulement quatre mois sans le moindre euro de subvention. L’agence locale de Rabobank a accordé un prêt et un groupe d’investisseurs privés a fourni le montant restant.

Une entreprise commerciale

Si, de nos jours, l’entrepreneuriat joue un rôle essentiel dans le monde muséal néerlandais, on peut dire que le Nxt Museum est une entreprise commerciale au sens fort du terme. Issue du monde du marketing et des ventes, la fondatrice Merel van Helsdingen a notamment travaillé pour Apple et Tommy Hilfinger. Son associée Natasha Greenhalgh a quant à elle fait carrière comme architecte et conceptrice d’agencement de magasins. Enfin, parmi les onze autres fonctions présentes au sein du personnel lean & mean, seules deux sont de nature artistique.

Si l’entrepreneuriat joue un rôle essentiel dans le monde muséal néerlandais, le Nxt Museum est une entreprise commerciale au sens fort du terme

Il n’empêche que le Nxt Museum présente une plus grande affinité avec le musée privé Voorlinden de Wassenaar (près de La Haye) qu’avec, par exemple, le Moco de la Museumplein à Amsterdam et ses médiocres impressions sur toile de Banksy censées attirer les touristes. Son café-restaurant est élégant, mais ne s’adresse pas à une clientèle huppée, comme celui du Rijksmuseum. Si l’on y trouve aussi une boutique de souvenirs, celle-ci ne vend pas les typiques tasses et puzzles, mais des gadgets pratiques tels que des caches pour couvrir la webcam d’un ordinateur portable.

Le gros des revenus doit provenir de la vente de billets. Et cela soulève immédiatement des questions sur la viabilité à long terme du Nxt Museum. Car une entrée à 24,50 €, c’est plutôt cher, surtout dans un pays où la plupart des amateurs de culture ont un abonnement annuel (« Museumkaart ») qui leur donne accès à quelque 400 musées. Il reste à espérer que le Nxt Museum parviendra à attirer une nouvelle génération de «consommateurs d’art», prêts à débourser ce prix équivalent à trois entrées de cinéma.

La page web du Nxt Museum

Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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